mardi 9 juin 2009

Pierre et la Dysphasie

Appelons-le Pierre...

Pierre avait 17 ans, et il était déscolarisé depuis deux ans, lorsque sa maman m'a contactée. Une maman pleine d'espoir sans même oser y croire, prudente et aimante. Pierre avait suivi les cours du CNED, il avait pu bénéficier d'un aménagement d'examen... il avait obtenu son Brevet des collèges en juin 2007.
Et, bravant son mal-être, ses difficultés de relations aux autres et la dysphasie réceptive, il venait de prendre la difficile décision de reprendre le chemin du lycée, il s'était inscrit en BEP optique, monteur lunetier.

Sur le plan scolaire, Pierre passe une bonne première année. Des aménagements et un suivi régulier sont mis en place avec le médecin scolaire. Pierre a besoin d'être soutenu, accompagné. Il travaille beaucoup, il fait preuve de très bonnes capacités. Et, contrairement à tout ce qu'il peut en dire, le bilan du stage qu'il a effectué chez un opticien en juin 2008 est très positif. Le passage en Terminale est tout à fait mérité. Oui, une bonne année... scolaire.
Psychologiquement, Pierre n'en peut plus, sa maman "le ramasse à la petite cuillère". A peine le temps des vacances d'été pour retrouver un peu de goût de vivre, de confiance en soi, de courage. Et c'est déjà la rentrée.

Pierre est en Terminale BEP. Les relations aux autres sont de plus en plus difficiles. De par ce qu'il a pu vivre lorsqu'il était en 6ème, Pierre craint les moqueries. Il prend au pied de la lettre tout ce qui est dit par l'un ou par l'autre, il a très peu confiance en lui. Chaque mot mal compris est perçu comme une agression personnelle. Il ne comprend pas le sens figuré ni la plaisanterie... alors au lycée au milieu des autres adolescents qui excellent dans l'art des jeux de mots et des plaisanteries idiotes... il est mal. Tellement mal qu'il trouve très souvent refuge à l'infirmerie. C'est là que son professeur d'optique vient inlassablement le rechercher pour l'encourager à venir en cours. Mais trop, c'est trop. A l'occasion du pont du 11 novembre, il quitte le lycée... pour ne plus y revenir. Il ne peut plus, il ne veut plus. C'est en tout cas ce qu'il dit. Car vers ce lycée qui lui fait tellement peur, il va revenir. Courant décembre, il émet le souhait d'abandonner la Terminale, de retourner en seconde, Drôle d'idée. Il pense retrouver des camarades doublants avec qui il s'entendait bien l'an dernier. Ce choix, non fondé quant aux résultats scolaires de Pierre, est cependant accepté par le lycée. Si cela peut lui permettre d'être à nouveau scolarisé... Catastrophe. Une expérience très négative qui ne dure qu'une journée, les élèves n'ayant absolument pas compris ni respecté cette décision. C'est à nouveau la déscolarisation.

Mi-janvier 2009, je décroche mon téléphone et j'appelle sa maman. Je lui propose d'organiser une réunion de l'ESS au lycée. Elle hésite. Gênée, elle ne veut plus rien demander au lycée qui en a déjà fait beaucoup, elle ne veut pas faire perdre le temps de chacun, elle craint que Pierre ne retourne jamais en classe. Je lui demande d'y réfléchir et d'en parler à Pierre. Et pour ce qui est de "déranger tout le monde", aucun problème. En tant qu'enseignant référent, je dois veiller à réunir l'ESS au moins une fois l'an. Aucune réunion officielle depuis la rentrée scolaire, c'est donc l'occasion ! La voilà tranquilisée sur ce point. Du côté du lycée, aucun problème non plus : un directeur tellement humain, une équipe très à l'écoute...
Quelques jours passent. La maman de Pierre me rappelle. Pierre est d'accord et il sera présent à la réunion (Pour quelqu'un qui dit ne plus vouloir revenir...). Il souhaite que le médecin scolaire, le directeur du lycée et son professeur d'optique soient présents, si c'est possible. Il a confiance en eux, il le dit.

Début février, réunion de l'ESS. Il est 17 heures. Mon téléphone sonne. Pierre et sa maman seront en retard, avec toutes leurs excuses. Cela semble mal parti. 17h15... 17h30... 17h35... le directeur du lycée s'excuse et se sauve, une autre réunion l'attend.
17h45, Pierre et sa maman arrivent. Ils ont croisé le directeur qui partait, il a su prendre le temps de leur parler. Chacun se présente, je rappelle pourquoi nous sommes réunis. Et c'est Pierre qui prend la parole. Il a souhaité participer à la réunion, il remercie plusieurs fois chacun de se mobiliser ainsi pour l'aider. Il est visiblement très touché que l'on puisse attacher autant d'importance à sa situation. Il s'exprime sur ses difficultés et sur sa peur réelle par rapport à un éventuel retour au lycée. Il remercie encore, et il nous parle de lui. Il se dévalorise, tellement dur avec lui-même, j'en suis retournée. Il écoute alors attentivement son professeur lui rappeler que ses résultats sont tout à fait satisfaisants, que le passage en Terminale était mérité. Le directeur adjoint ajoute que son inscription au BEP a été faite, qu'il peut donc se présenter à l'examen. Pierre s'en étonne et se tourne vers son professeur : Le croit-elle vraiment capable de rattraper les cours ? Et oui. Visiblement, Pierre avait complètement écarté cette possibilité, posant plusieurs fois la question de l'éventualité d'entrer le plus rapidement possible dans la vie active, dans le domaine de l'informatique, dit-il. Il s'échappe, il a peur.
La psychologue lui propose de se laisser guider, d'essayer de vivre l'instant présent en faisant confiance aux personnes qui souhaitent l'aider, d'entendre réellement les propositions qui lui sont faites.
Le lycée mettra tout en oeuvre pour accueillir Pierre à nouveau dans les meilleures conditions. Pour cela, il lui est proposé de venir s'exprimer dès la semaine prochaine face à la classe, d'expliquer ses difficultés à ses camarades. Jusqu'à présent, il n'a jamais souhaité parler de sa dysphasie. Il sera accompagné dans cette démarche par le médecin scolaire ou la psychologue. Il peut également d'ici là essayer de reprendre contact hors la classe avec les camarades avec qui il s'entendait bien.

Pierre souhaite y réfléchir, il répète avoir vraiment peur, ne plus vouloir revivre au lycée dans les mêmes conditions de stress. Il ne promet rien. Il remercie encore, chaleureusement. Une vraie belle rencontre. La décision lui appartient.

Quelques jours plus tard, à sa demande, il s'explique devant la classe, accompagné de la psychologue scolaire. Dans la foulée, il reprend les cours. Une belle leçon de courage de la part de ce jeune de 18 ans.
Ce n'est pas facile, c'est un combat de chaque jour. Il prépare son BEP.
Une belle leçon de vie.

23/05/2009

1 commentaire:

  1. La maman de Pierre m'a contactée; à l'époque où j'ai écrit cet article, il n'allait déjà plus en cours... il est à la maison. Il ne s'est pas présenté aux examens. Mais il va bien, me dit-elle.
    Faisons-lui confiance. Il dépose des c.v. partout, prêt à accepter tout emploi. Il est inscrit à la Mission Locale, il ne se renferme pas, voit du monde, aime la présence des adultes, fait de la musique. Son projet: suivre une formation en informatique, domaine dans lequel il est très performant.
    Je lui souhaite bonne chance sur le chemin qu'il choisira de suivre.

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