mardi 9 juin 2009

Luc et la Dyslexie

Appelons-le Luc...

Luc allait avoir 10 ans lorsqu'il est arrivé sur mon secteur à la rentrée de septembre 2007, après trois années d'école maternelle, un CP, deux CE1 et un CE2 au cours duquel il avait bénéficié de l'aide du RASED et d'un décloisonnement en... CP. Il ne parvenait pas à entrer dans les apprentissages, n'essayait peut-être même plus - comme déjà fatigué de l'école. Impossible pour lui de suivre le CM1, il fut à nouveau inscrit en CE2.

Le diagnostic était clair : une dyslexie dysorthographie massive.
En 2006, la CDA avait préconisé une orientation en CLIS Troubles du langage - il n'y en avait pas dans le secteur - et un accompagnement par un SESSAD Dys - qui devait se mettre en place... et qui finalement ne vit pas le jour. La faute à " Pas de chance ?"
L'école décida de la lui donner, sa chance. Comment ? Ce n'était pas encore très clair, mais l'objectif était là : lui redonner le goût d'apprendre, l'envie de venir à l'école. L'enseignante qui l'accueillait avait besoin de temps pour faire connaissance avec ce nouvel élève, essayer de cibler ses acquis, ses besoins particuliers et les moyens d'y répondre. Décision fut prise de laisser passer le premier trimestre.
... ... ... ... ...
En janvier 2008, l'équipe de suivi de la scolarisation se réunit pour actualiser le PPS. La maman arrive, souriante. Elle est ravie : Luc s'épanouit, commence à s'ouvrir aux autres, il est à nouveau content de venir à l'école, et il accepte même un peu mieux les séances d'orthophonie... des changements importants en seulement 4 mois. Un bon début... mais tout n'est pas rose.
En séance d'orthophonie, deux fois par semaine, il construit son stock lexical mais travaille également la voie d'assemblage. La conscience phonologique s'installe, mais le passage de l'oral à l'écrit reste difficile. Luc a besoin d'être valorisé, il est indispensable de privilégier l'oral pour l'aider à retrouver confiance en ses capacités. Il a conscience de ses difficultés, il se sent en échec.
En classe, un projet complètement adapté est mis en place en français et mathématiques. Luc est peu sûr de lui, n'ose pas participer. Il ne demande jamais d'aide. Son enseignante tâtonne, procède par "essais erreurs", cherche une méthode de lecture adaptée, utilise des jeux de lecture, des logiciels d'apprentissage de la lecture. Rien n'est simple. Compte tenu de son âge, il est inconcevable de toujours retourner vers le syllabique, et ce qui lui est proposé en lecture ne correspond en rien à sa maturité. Il est nécessaire de travailler sur des textes, des textes dignes d'intérêt pour un enfant de 10 ans... mais accessibles à son niveau de lecture : Il commence à déchiffrer des syllabes simples, syllabes de deux lettres, mais les confusions de sons sont nombreuses. Un travail est fait en partenariat avec l'orthophoniste qui travaille un stock lexical, Luc travaille ensuite sur des textes utilisant le stock acquis, il surligne tous les mots qu'il reconnait dans le texte avant d'en commencer la lecture. Le journal " Mon quotidien " auquel la classe est abonnée est un bon support.
Les acquis sont trop instables, la mémorisation est difficile. Alors en classe, hors temps de lecture, l'enseignante lui lit tous les énoncés, tous les documents. Luc participe à toutes les activités de découverte du monde, comme ses camarades, cela l'intéresse.
A l'écrit en situation de copie, son écriture est correcte mais Luc se précipite, le travail est peu soigné. Là il peut progresser, des exigences sont posées : un contrat de copie est mis en place.
Les apprentissages mathématiques ont certainement été laissés de côté les années précédentes. En numération, Luc travaille donc des activités de niveau CP, il a acquis la technique opératoire de l'addition (sur des nombres à 3 chiffres qu'il ne peut pas nommer) et la résolution de problèmes est correcte à l'oral.

En mai 2008, l'ESS se réunit à nouveau pour un bilan.
Luc n'est pas lecteur, mais il est beaucoup moins stressé par rapport à l'écrit. Il semble retrouver confiance en lui. Il a tellement été en situation d'échec qu'il a encore très souvent peur de se tromper. Mais il prend conscience qu'il réussit de petites choses, accepte mieux les remarques qui lui sont faites, ne râle plus. En cours d'année, un décloisonnement d'une heure en CLIS chaque début de matinée a été mis en place pour favoriser l'apprentissage de la lecture. Le partenariat entre les deux enseignantes a permis à Luc d'entrer à petits pas dans la lecture d'un album.
La production de texte est faite oralement, les notions de singulier-pluriel, les marques du pluriel... sont travaillées également oralement.
Lors de moments collectifs, en découverte du monde, Luc ne reste plus en retrait et participe. Mais à l'oral, il cherche ses mots, les idées se bousculent.
En séance d'orthophonie, il accepte à nouveau de travailler sur des albums. La conscience phonologique est fragile, mais progresse. Luc connait maintenant les sons simples et complexes, mais ne les mémorise pas. Sa mémoire progresse pourtant, et il peut écrire des syllabes simples. L'ordinateur l'aide beaucoup et l'oblige à effectuer l'opération mentale de décomposer le mot en lettres distinctes. Il n'a pas d'ordinateur à la maison, une demande d'attribution d'une configuration informatique portable est faite auprès de la MDPH.

Octobre 2008, l'ESS actualise le PPS. Luc est inscrit en CM1, avec une nouvelle enseignante. Le lien a été fait, les adaptations dans le cadre du projet personnalisé se poursuivent.
Luc est très bien suivi à la maison, le travail est régulier. En classe, il respecte les règles de vie, il est autonome et de plus en plus acteur de son projet. C'est un élève motivé, intéressé, qui s'investit et participe beaucoup. Pour prendre la parole, Luc oublie encore de lever la main, parle très vite, utilise beaucoup de mots pour dire peu, tant il est content de parler. Il a un réel besoin d'être reconnu et valorisé. Il est très vif quant à la compréhension. Les sons et le stock lexical sont toujours travaillés selon une progression établie en lien avec l'orthophoniste. La lecture est travaillée à partir d'albums de la collection Tête-bêche chez Hatier, qui présente des histoires lisibles à deux niveaux (version longue ou version courte). Son enseignante a fait le choix pour Luc d'une version courte. Le CD joint à l'album permet la lecture sur le principe du karaoké (les mots apparaissent à l'écran au fur et à mesure de la lecture).
Son orthophoniste le confirme, Luc est capable de lire de petits textes, mais il a surtout acquis l'envie et le plaisir de lire. Il est volontaire : les progrès sont plus linéaires, des acquis commencent à s'installer.
En mathématiques, un travail est mené sur la correspondance entre écriture chiffrée et écriture littérale des nombres de 1 à 79. Les tables + et x sont en cours d'acquisition. Luc est capable de résoudre un problème si la consigne lui est lue : inutile de reformuler, une simple lecture suffit. Des difficultés persistent dans l'acquisition du sens des nombres. La géométrie est une découverte ; cette discipline fait appel à un vocabulaire tout nouveau pour Luc (angles droits, parallèles, perpendiculaires...) et à l'utilisation d'outils qu'il ne maîtrise pas encore.
En fin de réunion, la question de l'orientation est posée : ayant déjà bénéficié de deux maintiens, en juin Luc aura l'âge de quitter l'école primaire.

Décembre 2008, réunion de suivi.
Luc doit toujours être encouragé, il fait de gros efforts pour progresser. Il entre réellement dans les apprentissages scolaires, mais la fragilité des acquis est certaine.
En production d'écrit, avec un support et une consigne simple et très précise, il peut écrire deux phrases bien construites en utilisant des mots connus. Il utilise à bon escient les majuscules et les points. Les écrits présentés révèlent une écriture "pensée", par essais / erreurs / autocorrections. L'utilisation de l'ordinateur, récemment attribué par l'Inspection Académique, est à l'essai.
A la maison, les relations entre Luc et sa maman deviennent conflictuelles, il la met "à bout", et refuse de travailler.
Le problème de l'orientation plane sur chacun, on ressent le stress et l'angoisse.
Des pistes sont explorées : un collège proche accueille des élèves dyslexiques en 6ème dans une classe à effectif allégé, et il y a une UPI Troubles du langage à une heure de route... la maman évoque la crainte de l'éloignement, mais aussi le coût financier de la pension.

Février 2009, 5ème réunion de l'ESS.
Le bilan au centre référent de diagnostic des troubles des apprentissages a été réactualisé en janvier. Le médecin a évoqué une orientation en SEGPA, ce que la maman souhaite donc désormais demander comme orientation. Je me rends compte alors qu'elle ne sait pas ce qu'est la SEGPA, c'est pour elle "une classe à petit effectif où Luc sera bien pour apprendre". Des précisions sont alors nécessaires, une telle décision oriente Luc dans une voie professionnelle. Est-ce que c'est son choix ?
Parallèlement, contact a été pris avec le collège de proximité, Luc ne peut être accueilli dans la classe de 6ème adaptée, son niveau scolaire est trop faible.

Mai 2009, 6ème réunion de l'ESS.
Je salue le travail formidable de l'enseignante de la classe de CM1, elle n'a compté ni son temps ni son énergie. Luc non plus n'a pas baissé les bras, et il est en progrès constants au niveau des apprentissages. Il a également beaucoup gagné en autonomie dans le travail. Il est content d'apprendre, il est très motivé. Il est lecteur (niveau fin CP en français), capable de lire des albums et de raconter ce qu'il a lu.
En mathématiques, les acquis sont de niveau fin CP - CE1.
L'orientation en SEGPA n'a pas été retenue par la CDA, Luc relève d'une UPI Troubles du langage... mais il n'y a pas d'internat au collège dont relève l'UPI la plus proche du domicile... à une heure de route (hors heures de pointe...). La notification préconise une orientation en UPI 4 (sous réserve de places disponibles) à défaut d'UPI Troubles du langage.La maman a expliqué à Luc ce qu'est l'UPI 4... il demande : "J'aurai des copains pour jouer au football ?"
La maman s'effondre. Chaque jour, elle laisse des messages sur mon répondeur. Il faut la rassurer, l'accompagner. Elle exprime sa souffrance et sa colère : "Luc a tellement progressé en deux ans, il a fait tant d'efforts, et personne n'en veut. Il n'y a pas de place pour lui. Il ne faut pas me laisser seule, il faut m'aider."
Quelques appels téléphoniques plus tard, un espoir : un collège à une demi-heure de route met en place un dispositif d'accueil pour des élèves dyslexiques... encore quelques appels téléphoniques... faux espoir. Luc n'est pas accepté, son niveau est, ici encore, trop faible.
Mais une information nous est donnée : l'ouverture, à la prochaine rentrée, d'une UPI Troubles du langage... une demi-heure de route... je prends contact avec l'inspection ASH de ce secteur, oui l'UPI ouvrira en septembre 2009, le projet est en cours quant au profil des élèves qui y seront accueillis. Je présente la situation de Luc.
Patience, peut-être y aura-t-il là une petite place pour Luc ?

21/05/2009

1 commentaire:

  1. Pas d'affectation possible en UPI TSL, tous les élèves affectés dans ce dispositif seront inscrits en classe ordinaire, Luc ne pourrait pas suivre une classe de 6ème avec un niveau lecture CP.
    Par défaut, l'affectation en UPI 4... dont le fonctionnement est identique: les élèves affectés sont inscrits en classe ordinaire.
    Cela pose question, non?

    Enfin, j'ai accompagné ce matin la maman de Luc au collège. Nous avons rencontré l'enseignante de l'UPI 4. Une personne formidable. Elle se lance dans l'aventure avec un dynamisme qui fait chaud au coeur. Luc sera intégré en classe de 6ème en histoire, géographie, SVT, EPS, Arts Plastiques... les apprentissages de français et mathématiques seront poursuivis au sein de l'UPI avec l'enseignante spécialisée. Un accompagnement sera mis en place pour favoriser l'utilisation de son ordinateur.

    Un nouveau départ. Luc est heureux d'entrer au collège comme ses camarades. Il rayonne.

    Inclusion? Le chemin à parcourir est encore long...
    Parfois, je pense qu'accompagner l'enfant dans sa scolarisation, ce n'est pas trouver la bonne orientation... c'est trouver la bonne personne, celle qui croit en chaque enfant et qui fait le choix de s'investir.

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